Seigneur ErKram

Plusieurs jours qu'il arpentait les chemins d'Orkandia. Il avait bien suivi les instructions qu'on lui avait donné, mais il avait sûrement mal évalué les distances. Après un énième vallon, ErKram arriva enfin en vue d'Ankaa l'écarlate. Il poussa un léger soupire de satisfaction mais n'eut pas la force de sourire. Après avoir marchandé -arnaqué devrait-on plutôt dire- avec un commerçant du coin, il se fit embarquer sur un vieux trois mâts. Pensif il s'accouda sur le bastingage avant du bateau, et fixa d'un regard conquérant la cité d'Ankaa.

La bateau n'avait pas encore accosté qu'ErKram se mêlait déjà aux marins et poissonniers déchargeant leurs cargaisons. Après avoir glané quelques informations auprès de passants, il se mit en quête des bâtiments administratifs de la cité. Une fois arrivé dans les salles de recrutement, il questionna à l'aveuglette un scribe qui passait. Celui-ci lui indiqua les personnes qui s’occuperaient de sa demande.

Vêtu de longs vêtements de soie, il s'approcha de la personne en question. Le regard froid et sombre, un imposant foulard recouvrait le bas de son visage. Sa voix était calme, douce et posée. Les mains nouées dans le dos il interpella son interlocuteur.

"- Hum,

Excusez-moi, je désirerais connaître la démarche à suivre pour déposer ma candidature au sein des Phénix. Et..."

Ne sachant à qui il avait à faire et n'ayant pas l'envie de se répéter maintes fois, ErKram se reprit, avant de conclure dans un souffle.

"-... mon nom est ErKram."

Puis il fit un pas en arrière, et inclina légèrement la tête en signe de respect.

L'humain se retourna, et se redressa, révélant un haut homme de plus de deux mètres de hauteur.
Ses habits étaient tous noirs, comme ses cheveux et sa longue barbe tombant en pointe sur sa poitrine: des chausses, une tunique, une cape, des gants et des bottes en cuir, une ceinture large en cuir à boucle d'un étrange argent sombre. Les armes aussi étaient sombres: long poignard et longue épée à double tranchant, entièrement forgés, jusqu'aux poignées cependant recouvertes de bandes de tissu noir pour tenir en main, dans un métal scintillant sombrement, et rangés dans des fourreaux eux aussi noirs de suie.
Trois couleurs tranchant sur cet aspect sombre: d'abord, un blason jaune traversé d'une bande rouge sur laquelle sont portées trois faucons d'argent, se trouve sur la poitrine, au sein gauche; ensuite, les rares parties du visage qui ne sont pas recouvertes de poils révèlent une peau pâle, tirant vers le rose blanchâtre; enfin, les yeux, pupilles noires entourées de vert, et traversées d'éclairs jaunes.

L'homme s'incline, la jambe gauche tapant le fourreau de l'épée quand elle se porte vers l'arrière pour accentuer la révérence. Puis il se redresse, et ses lèvres qui tranchent sur sa barbe, les coins soulevés en un étrange et continu sourire ironique, s'animent, laissant sortir une voix grave, mais mélodieuse.

- Ravi de vous rencontrer, Seigneur ErKram. Je me nomme Lupus, autrefois Serviteur du Phénix, et aujourd'hui...disons à la retraite.

Un regard dur se porte sur le scribe un instant, qui se détourne en souriant.

- Néanmoins, je pense pouvoir vous aider. Suivez-moi, je vous prie.

Tout en guidant ErKram vers une salle d'audience, Lupus parle au seigneur, maîtrisant son pas pour rester un demi-pas en arrière du seigneur, s'arrangeant cependant pour lui éviter tout arrêt aux tournants. Lupus joue parfaitement le rôle du majordome de haut rang.

- La Guilde du Phénix est une alliance guidée par Genghis Crâan, et croyant en l'Oiseau de Feu, je ne vous apprends rien... En vertu du Premier Équinoxe, votre candidature sera jugée par tous les Seigneurs Phénix qui désireront se prononcer sur votre acceptation au sein de la Guilde.

Vous devez donc veiller à faire la meilleure impression possible. Présentez-vous autant que possible, sans cependant oublier que vous n'êtes pas un esclave, bien sûr; parlez-nous de votre arrivée et de votre expérience dans le monde d'Orkandia, et éventuellement interrogez les membres de la Guilde si vous avez des questions particulières sur notre monde. Expliquez-leur quelle est votre motivation à entrer dans la Guilde, les raisons de cette candidature... Et n'hésitez pas à les interroger sur la Guilde, pour savoir si elle vous convient vraiment, car la Guilde repose sur une alliance stable et durable de seigneurs, non sur des allés et venues régulières; enfin, bien évidemment, répondez avec franchise à vos interlocuteurs, sur toutes les questions acceptables qu'ils pourraient vous poser.

Lupus stoppe enfin devant une grande porte à deux battants, en bois, ferrée.

- Voici. Je ne puis vous accompagner, Seigneur ErKram: d'ores et déjà, j'outrepasse mes droits en vous accompagnant ici et en vous expliquant tout cela.
Si vous voulez entrer dans l'alliance du Phénix, ouvrez ses battants, et placez-vous au centre de la salle. Je vous souhaite bonne chance.

Le sourire ironique devient un instant, imperceptiblement, un sourire amical et sympathique; cela ne dure cependant qu'une demi-seconde, puis Lupus s'écarte de la porte, se mettant presque au garde-à-vous contre le mur à côté des portes.

ErKram avait suivi Lupus en l'écoutant religieusement. A aucun moment il ne l'avait interrompu. Ils étaient désormais devant cette salle où son avenir se jouera. Il resta quelques secondes à contempler l'imposante porte, puis se tourna vers Lupus.

"- Merci à vous. Et... à bientôt, je ne pense pas me tromper."

Aucune expression ne se dégageait sur la partie découverte de son visage. Il poussa énergiquement les battants de la porte et s'introduit d'un pas convaincu dans la pièce. Suivant les instructions du retraité il se plaça au centre de la salle. Face à lui un public clairsemé, dont il peinait à distinguer les visages.

"- Bien, bonjour à vous."

La scène était surréaliste. Toujours emmitouflé, comme s'il cherchait à cacher quelque chose, il s'adressait à des personnes qu'il ne voyait pas, qu'il connaissait encore moins. Il n'avait aucune certitude à propos de leur rang, ni même de leur race. Peut-être s'adressait-il à un public de secrétaire, ou encore à des écoliers égarés.
Toujours est-il que cela ne l'arrêtait pas, bien au contraire. S'il voulait se faire une place au sein des Phénix, il devait également se faire connaître et respecter des petites gens de la cité.

"- Vous ne me connaissez probablement pas et c'est bien normal. Je suis le seigneur ErKram, voyageur solitaire, errant depuis quelque temps déjà sur les terres hostiles d'Orkandia. Je vais de ville en ville, de campement en campement, mon armée jamais bien loin.

La solitude était un choix. Aucun ordre à subir, liberté au jour le jour... Le bonheur. Simplement il y a un moment où le manque de relations -il chercha le terme adéquat- durables, dirons-nous, m'a poussé à rechercher de la compagnie. Sur ma route j'ai perdu mon amour-propre et quelques autres bricoles, mais j'ai énormément appris.

Si j'ai choisi votre alliance et pas une autre, c'est bien simple. Après avoir consulté l'ensemble des chartes de chacune des guildes d'Orkandia, une seule est sortie du lot, la vôtre. C'est la seule qui possédait un projet suffisamment ambitieux susceptible de m'intéresser.

Je n’ai –il hésita brièvement- absolument aucune relations avec les personnalités importantes d’Orkandia, et je ne connais que très peu de monde. Simple quelques vagabonds, et quelques demoiselles –il eu un sourire nostalgique à cette évocation- que j’ai eu la joie de rencontrer.

Voila, je crois que c’est tout ce dont je suis capable de vous raconter sur moi, j’attends bien entendu vos questions.

Un soleil rutilant miroitait sur la mer d'Elensar. D'une couleur saphir parfaite, elle n'était pas tout à fait plane. Des vaguelettes accidentaient sa surface merveilleuse. Sur l'île, des rumeurs circulaient plus rapidement que la lumière. Les récents évènements qui s'étaient déroulés en Orkandia attisaient la curiosité des autochtones d'Ankaa l'écarlate. Les bannières grandioses du Phénix oscillaient au gré du zéphyr. Sur le port, les cris des marchands déchiraient le silence apaisant de l'après midi. Alors que la plupart des quidams s'étaient réfugiés à l'ombre d'un arbre quelconque ou bien dans leur foyer à l'abri des rayons ardents de Phoebus, les commerçants, eux, perduraient à tenir leurs échoppes. Une odeur de poisson nauséabonde se répandait à travers le havre. Pourtant, au milieu de cette jungle portuaire se distinguait la silhouette d'un vieil homme. Vêtu d'un accoutrement léger, il flânait ayant pour seul objectif de profiter de la vie. Cependant, il ne pouvait demeurer plus longtemps, il avait fort à faire.

Il rejoignit l'ambassade en très peu de temps, il allait aussi vite que le pouvait son corps. Néanmoins, son souffle ne l'autorisait pas à marcher à toute hâte. Dans un des longs corridors qui serpentaient au sein de l'ambassade, il calma sa respiration agitée. Il ne put retenir une quinte de toux bruyante et douloureuse. Il était presque arrivé. Avec sa force de vieillard il poussa la porte massive et entra dans la salle d'un pas assuré. Bélisaire y trouva comme convenu un nouveau visage. Le vieil homme parcouru des yeux les notes qu'avaient prises l'un des greffiers et s'adressa au nouveau venu.

- Mes respects seigneur ErKram, voyageur solitaire errant depuis quelques temps sur les terres hostiles d'Orkandia. Le vieil homme lui adressa un sourire amical. Bien que je ne sois point réputé pour être un homme très aimable, je viens vous apporter une bonne nouvelle.

Il sortit de sous sa cape légère quelques paperasses. Il les lâcha et les feuilles se mirent à tourbillonner, emportées par le vent qui s'engouffrait dans la salle.

- Tous ces papiers sont signés par les autres membres. Ils sont désormais inutiles. Sachez que nous vous acceptons au sein de la guilde. Venez, nous avons bien des choses à faire.

Puis, Ysengrin faisant demi tour, sortit le premier, appuyé sur son grand bâton de gaïac sombre.