Ysengrin Bélisaire du Pontartois

Ce n'est pas une respiration, mais un râle sourd, mais un rauque hurlement. Harassé d'un long périple, le vieillard suffoquait, des gouttes de sueur perlaient sur son front ridé. Appuyé sur son grand bâton de gaïac noir, il continuait de marcher, poussé par une indestructible volonté. Bélisaire foulait le sol de la cité d'Ankaa pour la toute première fois malgré ses soixante et onze printemps passés. Pendant un court instant, il s'immobilisa impressionné par la majesté de la cité. La hauteur de ses édifices, les échoppes, le Marché, tout lui semblait fabuleux, il se délectait de ce spectacle grandiose. Néanmoins il ne pouvait s'éterniser il lui restait de nombreuses choses à accomplir, le but principal de sa visite étant de postuler pour devenir un fervent serviteur du Phénix. Allait-il être accepté ? Cette question était constamment présente dans son esprit.

Enfin, Ysengrin vit le bâtiment dédié au recrutement. Tout comme la cité, cet édifice était d'une beauté inimaginable. Les drapeaux aux couleurs chatoyantes irradiaient chaque recoin, nul n'était épargné par cet éclat divin. Le vieil homme interrompit sa contemplation et poussa la porte. A l'intérieur se répandait une douce odeur et une délicate fraîcheur. Un jeune homme était assis derrière une sorte de secrétaire occupé à rédiger on ne sait quoi. Richement vêtu, aux traits fins il devait séduire bon nombre de demoiselles. Le vieil Ysengrin s'approcha.

- Je vous salue. Me serait il possible de postuler pour entrer au sein de la guilde ?

- Certainement, entrez dans la salle à même votre droite et parlez, vous serez écouté.
Bélisaire poussa une lourde porte de bois poli, devant lui s'exhibait une vaste salle, il se plaça de sorte que l'on puisse distinctement le voir. Son visage cependant demeurait dans l'ombre, camouflé sous un fin capuchon noir. On pouvait deviner sur le visage d'Ysengrin une courte barbe émaillée d'argent. Il tenta désespérément de redresser sa silhouette courbée par le temps avant de parler. Il tenait fermement en main droite son bâton.

- Mes seigneurs et dames, je vous salue. Me voir ici doit vous accabler de questions alors je tâcherai d'y répondre avant que vous ne les posiez. Je me nomme Ysengrin Bélisaire du Pontartois, comme mon nom l'indique je suis le seigneur et maître du grand domaine de Pontartois, j'entre dans ma soixante douzième année. L'épopée que j'ai effectué pour parvenir jusqu'ici m'a fatigué au plus au point, je suis un vieillard, j'essaierais donc d'être bref et précis. Il prit une grande goulée d'air avant de poursuivre. Si je suis présent ici, devant vous mes seigneurs, c'est pour rejoindre vos rangs. Vous n'êtes pas comme les autres. J'ai longtemps méditer avant de choisir une alliance vers qui me tourner. J'ai attentivement lu la charte de plusieurs d'entre elles. Il frappa nerveusement le sol de son bâton. Qu'est-ce-que j'y ai vu ? Une bande de couards, de mégalos qui se prétendent maître du monde alors qu'une candeur infantile émane encore de leurs yeux ! Dans votre guilde, j'ai ressenti tout autre chose. Elle est constituée d'hommes et de femmes vertueux, sages et disciplinés, maîtrisant l'art de la guerre à un tout autre niveau que d'autres illuminés se prétendant incommensurablement puissant, c'est certainement ce qui m'a séduit, de plus, vous défendez une cause noble. Prit d'une quinte de toux, il s'arrêta, inspira et repris calmement. Vous prônez un parfait esprit de solidarité entre les membres. Je suis dévoué à Dame Herpé, je lui dédie un amour inébranlable. Je pense avoir tout dit, j'attends votre réponse...

S'inclinant respectueusement, il retira son capuchon laissant apparaître son visage pâle, ses yeux bleus perçants puis il se tut laissant le silence prendre sa place.

Genghis Crâan avait écouté avec attention les propos du souverain du Pontartois.

L'orc mort vivant avait ponctué chaque phrases d'Ysengrin par un grognement de satisfaction.

Il se redressa lentement, sa main grisâtre et décharnée caressait lentement le montant en os de sa cathèdre de mort.

Seigneur Isengrin Belissaire,
Je me nomme Genghis Crâan, Seigneur de guerre de la Horde de Jais et représentant du Conseil intérieur du Phénix.
Vos paroles honorent notre guilde.
Nous sommes heureux de voir qu'il existe encore sur les terres d'Orkandia des royaumes qui refusent l'hégémonie dictée par certaines factions, et qui souhaitent demeurer libre.

La guilde du Phénix est composé de seigneurs qui veulent rester leur propre maitre. Sachez d'autre part que notre alliance est en recomposition.
Ce qui signifie que , si le conseil vous accepte, vous aurez un grand rôle a jouer dans la guilde.

Vous pensez vous capable d'être a la hauteur de la confiance du Conseil et de renaître Phénix ?

Lorsqu'enfin, le vieil Ysengrin fut tiré de sa rêverie un sourire illumina son visage. Il se trouvait encore dans cette vaste pièce, mais cette fois quelqu'un s'adressait à lui. Les yeux rivés sur son interlocuteur, Bélisaire écoutait chaque mot, analysant le moindre geste. Lorsque Gengis Crâan acheva son discours, une grande satisfaction emplit le coeur fragile du vieil homme.*Ce qui signifie que, si le conseil vous accepte, vous aurez un grand rôle a jouer dans la guilde.Vous pensez vous capable d'être a la hauteur de la confiance du Conseil et de renaître Phénix ?* Ces dernières phrases intriguèrent quelque peu Ysengrin. Une grande confiance devait émaner du seigneur de Guerre pour qu'on lui fasse une telle proposition dès son arrivée.

Seigneur Gengis Crâan, dans ma jeunesse je me serais volontiers agenouillé pour témoigner de ma loyauté, néanmoins, je suis un vieil homme ronchon désormais ainsi je m'en abstiendrai. L'offre que vous me faites comble mon coeur d'une gaité irraisonnée, j'en assumerai pleinement les conséquences cependant je vous pose cette question : êtes-vous réellement prêt à accueillir une vieille carne râleuse dans vos rangs ? Il lança au seigneur un sourire complice. J'accepterai chaque rôle que me proposera votre ordre.

Une demie douzaine de printemps plus tôt, il aurait levé son bâton au-dessus de sa tête en signe de force, de loyauté. Ysengrin était devenu un homme sage à présent, des paroles suffisaient pour transmettre ce qu'il ressentait. Il avait tout dit, il acceptait de tenir une place importante dans la Guilde du Phénix et s'engageait à faire revivre l'Oiseau de Feu, la seule étoile rutilante douée de vie. Depuis son enfance, du moins, aussi loin qu'il pouvait se souvenir, une jeune fille brune à la peau laiteuse lui contait les histoires de cette fameuse bête. Depuis, il l'avait rêvé, imaginer en train de voler, battre de ses ailes incandescentes, Ysengrin voulait regarder ses yeux qui lui apparaîtraient comme deux astres en fusion, c'était un rêve qu'il ne put jamais oublier. De nouveau, le silence envahit la pièce.

Le Seigneur de guerre de, jadis, la Horde D'Or esquissa un sourire.

Le caractère du souverain de Pontartois confirmait la bonne impression que l'orc mort vivant avait ressenti à son entrée.

Genghis Crâan se leva lentement de son trône et descendi dans un craquement d'os engourdis, la volée de marches qui le séparait de son interlocuteur.

Arrivé a hauteur du roi Bélisaire, le Seigneur Mort vivant de la Horde de jais s'exclama :

Ysengrin Bélisaire, souverain de Pontartois, sachez que vous n'aurez pas a vous agenouiller pour prouver votre loyauté !
Car aucun Phénix ne s'agenouille jamais devant quiconque. Et vous en êtes un désormais !!!

Un murmure d'aprobation parcoura la salle.

Genghis Crâan poursuivit :
Il nous faut boire ensemble le lait sacré de Youmoth la Génitrice afin que le Dieu a tête de Yak nous accorde sa bienveillance.
L'Orc se tourna alors vers l'assemblée
Les Phénix ont un nouveau frère qui vient de renaitre. Qu'il soit su de tous en Orkandia que Ysengrin Bélisaire, souverain de Pontartois est des notres.

Mes actes parlent pour moi !

Il fut pris d'une nouvelle quinte de toux. Ses yeux contemplaient le vide alors qu'il tentait de calmer sa respiration affolée. Quelques secondes auparavant, Bélisaire était seul mais l'instant d'après, il avait de nouveaux frères, il devenait un Phénix. Enfin, un murmure d'approbation volait à travers la salle, tel un spectre. Remettant son capuchon il s'adressa à Gengis Crâan :

- Je vous remercie mon frère. Quelle joie d'être parmi vous, je ne sais comment exprimer ma gratitude. Aspirant une goulée d'air, il reprit calmement. Je me pencherai sur la question plus tard, mes vieux os me font mal, mon corps est affligé de rhumatismes jusque dans les endroits les plus inimaginables. Ses doigts craquèrent. Allons Orc, retirons nous de cette salle et allons nous délecter de votre fameuse boisson, le lait sacré de Youmoth n'est-ce pas ?

Il s'éloigna peu à peu, accompagnant chacun de ses pas par le bruit sourd du bâton sur le sol. Ysengrin n'avait pas toujours été aussi faible, bien sûr dans sa jeunesse, c'était un damoiseau bondissant, qui regorgeait de vigueur. Au fil du temps, ce qu'il avait perdu en robustesse, il l'avait gagné en sagesse. Autrefois, son visage était long et majestueux, pourtant c'est vieillard que ses yeux semblaient les plus beaux, dégagés de ce cercle de bistre que dessinent les veilles et l'orgie. La chair vierge et étincelante de son faciès était dorénavant recouverte d'une courte barbe hirsute émaillée d'argent. Ses mains qui étaient comparables à celles du Tintoret étaient aujourd'hui secouées d'une agitation fébrile. Ses doigts décharnés et laiteux bien qu'ils scintillassent de pierreries portaient en eux la mort. A sa ceinture se balançait naguère, fièrement, une longue flamberge d'argent au pommeau d'or. Elle n'y était plus, remplacée par une courte épée d'argent : « Oril ». Ô il y pensait parfois à ce passé à jamais enterré, mais il ne regrettait rien. Quand il fut tiré de ses songes, Ysengrin pensait s'éveiller d'un long rêve délicieux.

Il contempla ses mains, ses pieds, se toucha la figure tout en continuant d'avancer à l'instar d'un nouveau né qui se découvre. Eh bien, je ne suis plus très frais.Un léger sourire s'esquissa sur ses lèvres rosées.